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  • 27 avril 2017

    Du bonheur de lire

    "Si mes parents m’avaient permis, quand je lisais un livre, d’aller visiter la région qu’il décrivait, j’aurais cru faire un pas inestimable dans la conquête de la vérité. Car si on a la sensation d’être toujours entouré de son âme, ce n’est pas comme d’une prison immobile : plutôt on est comme emporté avec elle dans un perpétuel élan pour la dépasser, pour atteindre à l’extérieur, avec une sorte de découragement, entendant toujours autour de soi cette sonorité identique qui n’est pas écho du dehors, mais retentissement d’une vibration interne. (…).
    Enfin, en continuant à suivre du dedans au dehors les états simultanément juxtaposés dans ma conscience, et avant d’arriver jusqu’à l’horizon réel qui les enveloppait, je trouve des plaisirs d’un autre genre, celui d’être bien assis, de sentir la bonne odeur de l’air, de ne pas être dérangé par une visite : et, quand une heure sonnait au clocher de Saint-Hilaire, de voir tomber morceau par morceau ce qui de l’après-midi était déjà consommé, jusqu’à ce que j’entendisse le dernier coup qui me permettait de faire le total et après lequel le long silence qui le suivait semblait faire commencer, dans le ciel bleu, toute la partie qui m’était encore concédée pour lire jusqu’au bon dîner qu’apprêtait Françoise et qui me réconforterait des fatigues prises, pendant la lecture du livre, à la suite de son héros. Et à chaque heure il me semblait que c’étaient quelques instants seulement auparavant que la précédente avait sonné ; la plus récente venait s’inscrire tout près de l’autre dans le ciel et je ne pouvais croire que soixante minutes eussent tenu dans ce petit arc bleu qui était compris entre leurs deux marques d’or. Quelquefois même cette heure prématurée sonnait deux coups de plus que la dernière ; il y en avait donc une que je n’avais pas entendue, quelque chose qui avait eu lieu n’avait pas eu lieu pour moi ; l’intérêt de la lecture, magique comme un profond sommeil, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d’or sur la surface azurée du silence. Beaux après-midi du dimanche sous le marronnier du jardin de Combray, soigneusement vidés par moi des incidents médiocres de mon existence personnelle que j’y avais remplacés par une vie d’aventures et d’aspirations étranges au sein d’un pays arrosé d’eaux vives, vous m’évoquez encore cette vie quand je pense à vous et vous la contenez en effet pour l’avoir peu à peu contournée et enclose — tandis que je progressais dans ma lecture et que tombait la chaleur du jour — dans le cristal successif, lentement changeant et traversé de feuillages, de vos heures silencieuses, sonores, odorantes et limpides."
    Marcel Proust - Du côté de chez Swann 
    Combray - II, pp. 122-123

    6 commentairess:

    1. Proust j' ai essayé . Vraiment essayé
      j' ai lu des milliers de livres
      Mais Proust je n' y arrive pas
      Cela fait partie de mes rares abandons au bout de 50 pages

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      1. Je le relis systématiquement tous les 10 ans . J'avoue que je saute des passages ...

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    2. Le Maître absolu : il faut le déguster avec patience, l'abandonner pour mieux lui revenir. Je ne sais pas quel âge vous avez, Tennessee, mais, me concernant, j'avais vainement essayé à l'adolescence, puis un peu plus tard, dans la trentaine, puis, enfin, j'ai réussi à entrer dans son monde, à savourer ces phrases finement ciselées. Il m'est indispensable à présent.

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      1. Adolescence abandon
        20 ans abandon
        30 ans abandon
        40 ans abandon
        bientot 50 et ca me gave toujours autant

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      2. @Tennessee & Sylvano : Je l'ai surtout lu lors de mes premières années de faculté. J'en conserve le souvenir d'un premier abord difficile, celui d'une lutte contre, ou peut-être avec, la complexité des phrases aux incises multiples qui faisaient qu'en arrivant au bout j'en avais perdu l'idée de départ.

        Puis le décryptage devint un jeu : trouver la proposition principale et en comprendre le sens, puis analyser chaque proposition relative et subordonnée, qui en forment le décor. Entrer dans l'écriture de Proust c'est un peu comme contempler du baroque flamboyant : il y en a partout et l'on a vite fait de se perdre dans les détails. Mais au fond, l'ossature fondamentale est toujours présente sous le foisonnement. Bien peu baroque, l'écriture de Proust est plutôt un jardin à l'anglaise.

        Vint enfin une troisième phase : celle où, habitué à ces phrases sinueuse, je me suis pris à aimer me laisser me perdre dans ce labyrinthe aux mille merveilles, sachant que, de toute manière, la sortie est toujours tout droit.

        L'écriture de Proust, précise et floue à la fois qui suggère plus qu'elle ne décrit, est une des plus fortes que je connaisse.

        J'aime à relire certains passages qui m'ont beaucoup marqué. Celui-ci en fait évidemment partie.

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    3. Dès l'enfance j'ai lu. Surtout de la fiction, des romans. Cela a influencé mon choix de vie professionnelle. Malheureusement pour moi depuis quelques années, suite à une grosse dépression, je ne lis plus que ce qui est nécessaire, j'ai perdu la lecture plaisir. Courage pour les semaines qui viennent. Bises

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